Ca ne prendra qu'un instant [Terminé]

Louison tenta de se lever. Pour elle, ce simple geste restait compliqué. Elle venait de passer deux jours alitée, et le guérisseur lui conseillait de garder encore un peu plus le repos ; mais cela lui était impossible. Elle avait au moins besoin de prendre le grand air. Deux fois dans la matinée, elle avait fait, accompagnée, le trajet entre son lit et la fenêtre ouverte sur les jardins du palais.

Mais la dryade détestait cette dépendance aux autres. On lui proposait un bras pour qu'elle n'ait pas à s'appuyer sur sa cheville, elle n'en voulait pas. On lui apportait des plats, de quoi se laver, et on l'aurait presque aidé à faire ces tâches quotidiennes si elle s'était montrée un peu moins farouche. Louison restait une créature des bois, qui avait agressée verbalement leur prince, et les serviteurs ne pouvaient s'empêcher d'éprouver une certaine méfiance à son égard, méfiance qu'elle prenait soin d'entretenir.

Alors, en ce début d'après-midi calme, elle avait décidé, sans prévenir personne, de faire les choses seule. Appelant les restes de magie qui circulaient encore dans son corps, elle avait fait pousser une longue branche d'un des meubles, qu'elle avait ensuite cassé d'une grimace. Employant cette canne improvisée, elle s'était redressée, et avait fait quelques pas dans la pièce. Cela restait difficile, mais c'était déjà un mieux.

A nouveau, elle se dirigea vers la fenêtre. Elle avait besoin de respirer le grand air. Pourtant, elle fut interrompue au milieu du chemin. Dans un fracas, la porte de sa chambre s'ouvrit, et plusieurs personnes commencèrent à entrer. Elle ne les avait pas entendus frapper. Mais une chose était sûre, son moment de solitude se terminait.

Félixine avait laissé tranquille la dryade. Du moins, pour quelques jours seulement. Cette dernière devait se remettre un peu de ses blessures. De plus, Félixine ne voulait pas la brusquer. 

Cependant, il fallait bien que Louison apprenne les bonnes manières et qu'elle apprenne à se vêtir comme une dame de la cour.

La princesse repensa au moment où son frère avait appris qu"elle avait libéré la dryade. Il était venu la voir, fou de rage. De quoi avait-il l'air? Il était humilié car ses décisions étaient contestés. Félixine s'était délectée de cette rage dont son frère brûlait. Il avait participé à son malheur alors elle n'aurait plus de remord à contre-carrer ses plans! 

Aujourd'hui, la princesse avait décidé que c'était le moment de commencer l'apprentisse de Louison ! 

Avec quelques serviteurs, elle fit apporter à la chambre de la dryade une garde robe bien fournie afin de déterminer quelles robes Louison garderait. 

"Bonjour!" salua joyeusement la princesse en entrant dans la chambre de Louison.

Félixine était rayonnante dans sa robe orange. 

Louison pivota doucement sur son pied sain pour observer la foule qui s'était engouffrée dans sa chambre. On ne voyait pas grand monde. Des centaines d'étoffes semblaient bouger seules. Peut être même plus. La dryade mis quelques secondes à comprendre qu'il s'agissait de serviteurs portant des tenues. Peut être que ce fut la présence de Félixine, qui pénétra dans la pièce à leur suite, qui permit à la jeune femme de comprendre.

Il fallait dire que la jeune noble enthousiasme portait elle-même une robe inédite aux yeux de Louison. Pour la dryade, c'était déjà quelque chose d'exceptionnel. Avant d'arriver au palais, elle n'avait que sa tunique comme vêtement. Et depuis, on lui avait juste fourni plusieurs exemplaires d'une sorte de robe en tissu trop serrée : une chemise de nuit lui avait-on dit. Au moins celle-ci n'était pas en lambeau.

"Euh ... Bonjour."

La voix de Louison, bien qu'hésitante, était déjà plus claire que dans les cachots. Même si elle avait un important besoin de communier avec un arbre -en témoignait sa peau dont l'aspect boisé était remarquable-, ces deux jours de repos lui avaient été bénéfiques. Elle aurait pu en avoir plus, mais Félixine semblait en avoir décidé autrement. Le fait que Louison avait souhaité se lever avait du lui remonter aux oreilles, et cela lui avait peut-être suffi pour se dire que Louison pouvait travailler pour elle.

Il fallait dire que la dryade n'imaginait même pas que toute ses tenues puissent être pour elle. Dans ses pensées, c'était la noble qui était venue pour avoir de l'aide pour se changer, pas autre chose.

Félixine était radieuse. Elle ressemblait un Soleil dans sa robe orange. Elle frappa dans ses mains.

"Nous allons avoir du travail aujourd'hui! s'exclama-t-elle.

La princesse s'approcha de Louison, le bruit de ses talons résonnant dans la pièce.

-Très chère Louison, il est tant de préparer votre entrée en tant que dame de compagnie! 

La princesse regarda Louison des pieds à la tête.

-Et nous avons du travail! Voici le programme du jour: je vais vous expliquer plus en détails votre rôle à mes côtés et nous allons vous constituer une garde-robe. Tous les frais sont à ma charge. 

Félixine avait l'impression d'avoir en face d'elle une poupée grandeur nature.  Elle allait bien s'amuser! Bon, Louison peut-être beaucoup moins. 

L'enthousiasme de Félixine ne trouvait pas d'écho chez Louison. Celle-ci grimaçait au fur et à mesure des mots de la demoiselle. "Travail", "entrée en tant que dame de compagnie". Tout cela lui semblait à l'opposé de ce qu'elle pouvait s'imaginer comme attrayant.

En plus de cela, la noble sembla la dévisager de la tête aux pieds. Louison prit conscience qu'à côté d'elle, elle n'avait pas fière allure. De sa petite robe de nuit crème au bout de bois sur lequel elle s'appuyait, en passant par sa peau à l'aspect d'écorce parsemé de taches sombres ou jaunâtres, elle paraissait presque misérable. Cela ne l'empêcha pas de grimacer de plus belle lorsque Félixine lui parla de garde robe.

Même si Louison ne connaissait pas l'expression, elle savait ce qu'était une robe, et surtout, elle voyait les bras chargés de tissus des serviteurs. Elle sentait que ça n'allait pas lui plaire. Et pourtant, lorsqu'elle prit la parole, alors que toute son attitude exprimait le contraire, elle acquiesça.

"D'accord."

Louison ne se montrait pas très loquace, un peu dépassée par les événements. Elle subissait ce qui lui arrivait, gardant sa fougue pour le moment plus propice où elle pourrait redevenir la protectrice de son bosquet.

Félixine hocha la tête, appréciant la coopération de Louison. Elle frappa une seconde fois dans ses mains. Elle fit en sorte que Louison s'assoit sur une chaise. Puis, la princesse se plaça en face d'elle et commença son monologue:

"Votre rôle n'a rien de très compliqué. Vous suivrez mon emploi du temps. Il vous sera communiqué tous les soirs par des serviteurs pour le lendemain. Nous nous retrouverons après les petits-déjeunés. Vous mangerez dans la salle réservé aux habitants permanents du château et qui ne sont pas du personnel, c'est-à-dire avec les nobles et les courtisans. Si vous entendez quelque chose me concernant, je vous prierai de bien vouloir m'en informer. Vous serez également mes oreilles et mes yeux en mon absence. Vous passerez votre journée avec moi et me suivrait dans mes activités. Si j'ai besoin de quelque chose, je vous ferais signe. Normalement, il faut attendre que je vous adresse la parole pour que vous puissiez me parler. Mais nous oublierons cette convenance. Vous pouvez m'adresser la parole lorsque vous le désirez. Votre présence aux bals organisés ou aux événements publics est requise. Surtout, ne faites pas de scandale et n'intervenez jamais directement contre l'acte ou la parole d'un noble ou de la famille royale. J'ai pu vous épargner une fois mais avec récidive, je ne pourrais vous garder à mes côtés et cela risque de reconduire votre condamnation. Venez plutôt me dire ce qui vous dérange et je m'assurerais que votre opinion soit connue. Vous devrez apprendre les codes de la cours et comment vous adresser aux nobles et au personnel. Tout est écrit dans ce livre.

La prnicesse sortit un énorme ouvrage qui devait peser plusieurs kilos. Elle était toute souriante.

-Votre apparence devra toujours être soignée et élégante. Nous allons vous choisir plusieurs robes qui iront à votre teint et qui vous mettront en valeur! "

Lorsqu'on installa un chaise presque sous les genoux de Louison, forçant la dryade à s'asseoir, celle-ci ne protesta pas plus qu'auparavant. Au contraire, c'était même plutôt une bonne chose, car lorsque Félixine reprit la parole, la jeune femme comprit qu'il y aurait beaucoup d'explication à venir.

Alors, elle écouta. Et très vite, elle se retrouva bouche-bée. Si elle n'était pas certaine de tout comprendre, il lui semblait au moins deviner que sa vie serait beaucoup trop rythmée à son goût. Oui, Louison avait une routine, mais rien ne l'empêchait d'innover. Là, elle devrait subir tout son quotidien.

Et puis, certains aspects lui paraissaient aussi compliqués. Se taire pour ne pas froisser la noblesse ? Cela semblait compliqué. Savoir les codes de la cour en lisant cette énorme chose que Félixine nommait livre ? En théorie possible, mais il lui faudrait plusieurs mois. Et les robes. Elle, en robe. Ça n'avait pas vraiment l'air pratique, et rien que ce point lui faisait grincer des dents.

Cependant, à la fin de la tirade de Félixine, lorsque Louison s'exprima enfin, ce ne fut pas pour répondre à un de ces points, mais pour évoquer un tout autre sujet.

"Il me faut au moins un jour de repos par semaine. Parfois plus selon les semaines. Il en va de ma survie. Je suis une dryade, liée à la nature. Et plus précisément à un arbre. Régulièrement, j'ai besoin d'aller communier avec lui, sinon, je perds ma force vitale. Vous parliez de mon teint tout à l'heure, c'est un signe évocateur. Tel qui est actuellement, cela montre que j'ai un besoin urgent de me régénérer. Et lorsque c'est à ce point là, il n'est pas possible de prévoir pendant combien de temps je devrais communier avec mon arbre. Plusieurs jours sûrement. Alors il vaut mieux que j'y aille régulièrement."

Bien qu'il y ait quelques vérités partielles dans les paroles de Louison, la plupart des informations qu'elle venait de transmettre était exactes. 

Félixine s'était attendue à une protestation de la part de la dryade mais cette dernière, à son grand étonnement, était partie sur un tout autre sujet. 

"Oh et bien, je vois.

Elle sembla considérer la demande de Louison. Jusqu'à présent, Félixine n'avait pas pris de demoiselle de compagnie. Elle pouvait bien se passer de la présence de Louison une journée par semaine! De plus, oui, Félixine n'avait pas oublié que Louison n'était pas une humaine. Les dryades étaient des habitantes des forêts et des bois. Félixine comprenait que Louison puisse dépérir si elle n'y avait pas accès.

-Je comprends votre demande et ce besoin vital que vous avez. Je vous accorde donc une journée par semaine. Disons le lundi ? Cela vous convient-il? 

Il fallait qu'elle règle cette demande avant de continuer la suite de son programme. Félixine ne voulait pas la mort de Louison. La princesse n'était pas cruelle et si elle prenait Louison sous son aile, elle voulait que cette dernière se sente bien malgré les contraintes qu'elle était en train de lui imposer. 

"Oui. C'est parfait."

Un petit sourire s'esquissa sur les lèvres de Louison. Elle hésita quelques secondes, avant de se permettre d'ajouter quelques informations.

"Par contre, telle que je suis actuellement, il va falloir que j'y aille. Dès que je pourrais faire le trajet jusqu'à la forêt. Et ça durera plus d'une journée."

Même si c'était plus une affirmation qu'une question, la dryade avait peur que cela lui soit refuser. Si elle-même ne faisait pas totalement confiance à Félixine, elle se disait que la réciproque devait être vraie aussi. Et laisser la jeune femme partir dans la forêt, pour une durée indéterminée et incontrôlable, c'était une porte ouverte pour la laisser fuir. Même si elle ne le ferait pas. Elle voyait des avantages non négligeables à rester au palais, même si pour cela, elle devait être aux ordres de la noble.

Félixine eut une drôle de petite moue à l'ajout des informations de la dryades. Plusieurs jours? N'allait-elle pas en profiter pour fuir? Félixine lui avait sauvé la vie. Louison ne se montrerait pas ingrate? Elles se connaissaient peu et la princesse savait qu'il n'y avait pas encore de confiance entre elles. C'était peut-être un bon moyen pour Félixine d'instaurer ce climat entre elles.

"Si cela vous est vital, je n'ai pas le choix que de vous laissez partir quelques jours... Cela ne m'enchante pas. Je pense que vous le voyez bien mais je ne vous en empêcherait pas et je ne vous ferais pas suivre.

C'était une dernière info que la princesse crut bon de rajouter. Louison était-elle réellement, à l'heure qu'il était capable de partir ? Seule? Ou avait-elle besoin d'encore une journée?