Célébration [Terminé]

Les minutes défilèrent, les plats aussi. Louison jeta un coup d'œil à la pièce autour d'elle. Plus aucun invité ne déambulait. Tous étaient installé autour d'une table, à déguster les différents mets. Il semblait y avoir une organisation particulière, avec les tables toutes réparties autour de celle de Félixine. La table du vainqueur, et de la famille qui dirigeait cette nation. Ils étaient au centre de l'attention, et cela se ressentait dans leur placement.

Louison observa donc quelques instants cette fameuse table et ses occupants, jusqu'à ce qu'un regard croise le sien. Batiste. Il avait une mine étrange, potentiellement énervée. L'échange visuel ne dura que quelques secondes, puisque la dryade ramena rapidement son regard vers sa propre table. Ce n'était clairement pas le moment de se soucier de lui. Même s'il la regardait. Pourquoi il la regardait ? Qui plus est, énervé. Après tout, c'était plutôt à Louison d'être en colère : c'était de sa faute si elle en était là. Non. Il fallait qu'elle cesse. Qu'elle se contrôle. Sa voisine fit une plaisanterie, et la jeune femme se força à rire. Ce n'était pas drôle, mais cela lui changerait les idées.

La jeune femme réussit donc à se concentrer sur le repas. En partie. Jusqu'au bout, elle ne releva plus les yeux au delà de ses voisins de table. Au moins, elle ne croiserait plus de regards indésirables.

Le dessert arriva, et une nouvelle discussion se lança aux côtés de Louison.

"Pensez vous que ses majestés vont ouvrir le bal ?

- Bien sûr que non, ce sera son Altesse Batiste. Après tout, il a remporté le tournoi, c'est donc son honneur.

- Oh ! Et qui va-t-il inviter selon vous ? Peut-être qu'on saura sur qu'elle jeune femme il souhaite jeter son dévolu pour la suite.

- A priori, il veut encore nous laisser désirer un long moment. Le choix stratégique aurait été sa sœur, mais vu la robe qu'elle porte, ce serait plutôt contre productif. La princesse souhaitait que Mathurion gagne n'est-ce pas ?"

Cette dernière phrase s'adressait à Louison. Celle-ci acquiesça. Si Félixine ne le cachait pas, alors sa demoiselle de compagnie n'avait pas de raison de le faire non plus. La dryade ne dit cependant rien de plus. Elle resta pensive, l'esprit dirigé vers les danses. Décidément, ces histoires d'invitation lui posaient question. Elle s'impatientait de voir le spectacle, et ce, même si ce serait le chasseur qu'elle verrait danser en premier.

Félixine vit les plats défilaient les uns après les autres. Il y en avait pour tous les goûts afin de satisfaire un maximum de convives. Les plats étaient tous plus impressionnants les un que les autres. Après tout, il fallait qu'un banquet organisé par la famille royale soit réussi ! 

La princesse mangea un peu de chaque plat. Elle se servit de toute petite part pour ne pas en être malade. Elle se souvenait encore de sa première participation à un événement de ce genre. Elle avait mangé avec toute la gourmandise qu'elle pouvait... Elle avait passé le reste de la nuit à avoir mal au ventre et vomir. Cela lui avait servi de leçon. 

Une fois le dessert servit, Félixine savait que son frère ne la prendrait pas comme cavalière. Il l'avait mal regardé par rapport au choix de sa robe. Mathurion n'avait fait aucun commentaire. Il avait l'esprit ailleurs, comme souvent. 

Batiste savait que Félixine était la personne toute désignée pour ouvrir le bal avec lui. Cependant, sa soeur s'était montrée ouvertement hostile. Il n'allait pas passer pour un idiot en l'invitant. Il ne voulait pas non plus prendre une noble dinde comme cavalière. Et il se refusait à avoir comme cavalière une jeune qui voulait se rapprocher de lui. De toute façon, Batiste n'allait pas se creuser la tête, il avait déjà fait son choix avant même le début du banquet. 

Il se leva pour aller inviter sa cavalière. D'un pas lent, il se dirigea vers la table de celle-ci... Batiste s'arrêta devant Louison. Comme le voulait le protocole, il s'inclina devant elle en lui tendant la main: 

"Accordez-moi cette dance."

Il ne lui demanda pas de lui accorder la danse. La question pourrait faire penser à Louison qu'elle avait le choix. Le prince avait donc opté pour un ordre. Louison au vu de sa position ne pouvait pas refuser une danse au prince. Félixine se mordit l'intérieur de la joue. Elle ne l'avait pas vu venir celle-là. Batiste voulait ridiculiser la dryade devant toute la noblesse car il se doutait bien qu'elle ne savait pas danser. 

Le silence se fit dans la salle, et tous les visages se tournèrent vers la table centrale. Sauf celui de Louison, qui restait fixé sur son assiette, où siégeaient quelques gourmandises qu'elle avait à peine touché. Le "ça y ait, on va savoir" qu'avait marmonné la personne en face d'elle était suffisant : la dryade savait exactement la cause de ce silence.

Sa curiosité lui fit cependant redresser la tête, ce qui lui permit de voir, à quelques mètres d'elle, Batiste. Il fit quelques pas de plus, avant de s'arrêter devant elle. Instinctivement, Louison fronça les sourcils. Jusqu'à ce qu'il parle. Là, son émotion se mua en étonnement.

Malgré la stupeur, elle ne put s'empêcher de protester, répliquant l'automatisme qu'elle avait préparé.

"J'ai la cheville cassée. Euh ... foulée je veux dire."

En vain. Sa voisine prit à son tour la parole, d'une voix qui se voulait discrète, mais qui restait audibe pour les personnes les plus proche.

"Allez-y. Ne soyez pas timide. Une danse avec le prince héritier, ça ne se refuse pas !"

Elle donna ensuite une légère pression sur l'omoplate de la dryade, qui se leva, légèrement déséquilibrée. Dans un réflexe pour se stabiliser, elle saisit le poignet du jeune homme, encore tendu devant elle.

La dryade se laissa ensuite entraîner vers la piste. Elle aurait souhaiter être furieuse, résister, mais ses pensées restaient rivées sur la danse à venir, et la stupéfaction face à l'enchaînement des événements.

La dernière fois qu'elle avait dansé, c'était lors de la fête du solstice quelques années auparavant, lorsqu'elle vivait encore chez ses parents. Et là, elle allait se retrouver seule avec le chasseur, visée par des centaines de regards, à danser une danse dont elle ignorait les mouvements et le rythme.

Batiste s'amusa de la réaction de Louison qui bafouille et tenta vainement de refuser son invitation à danser en prétextant une cheville blessée.

Le prince n'avait pas comme complice la voisine de table de Louison mais cela aurait pu être le cas. 

La dryade lui attrapa le poignet pour retrouver son équilibre. Batiste le savait mais il ne fit aucun commentaire. Au contraire, il en profita pour la tirer légèrement afin de l'éloigner de la table et de la diriger vers la piste de danse. Tous les regardes étaient vers eux. 

Une fois placés, les musiciens entamèrent une valse. 

"Tâcher de ne pas trop vous ridiculiser" conseilla le prince avec moquerie.

Une fois sur la piste, Batiste plaça un de ses bras sur l'omoplate de Louison, sous son premier bras, qui se posa instinctivement sur le deltoïde du jeune homme, puis il saisit le second au niveau de la main, qu'il tendit sur le côté.

La musique commençait déjà, alors que Batiste lui disait de ne pas se ridiculiser. Louison, à nouveau, fronça les sourcils. Bien sûr, c'était ce qu'il voulait, qu'elle s'humilie. Louison n'avait pas réellement peur du ridicule, mais elle avait compris qu'à la cours, il s'agissait du supplice ultime.

Elle n'eut pas le temps de penser plus longtemps. Déjà, elle ressentit une impulsion du côté de Batiste, qui se mettait en mouvement. Elle réussit à faire un pas, mais dès le deuxième, elle écrasa les jupons de sa robe sous son pied nu. La dryade se sentit partir vers l'arrière. Pour éviter cela, elle se raccrocha au chasseur. Elle serra sa veste et sa main, et réussit à rester debout.

A chaque pas, elle sentait un nouveau déséquilibre venir, et elle raffermissait ses appuis sur le jeune homme.

"Dites moi ce qu'il faut que je fasse, ou nous allons tomber tous les deux."

Ce n'était pas une menace, mais une simple constatation. Il ne fallait pas réfléchir pour comprendre que Louison n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle faisait : ses pieds suivaient vaguement le mouvement, mais le reste de son corps était gainé, contracté et agrippé à son partenaire. Il suffirait de peu pour qu'elle tombe en arrière, entraînant avec elle Batiste qu'elle n'était pas prête à lâcher.

Elle ne croyait tout de même pas que Batiste l'avait choisi pour faire la paix avec elle? Le prince commença à danser avec sa cavalière et il sentit qu'elle perdait l'équilibre dès les premiers pas.

"Et bien, nous tomberons ensemble" 

Il ne pouvait pas lui apprendre à danser d'un claquement de doigt. Cela prenait du temps et de l'entraînement. Le prince était un bon danseur. En même temps, il avait suivi des cours depuis l'enfance.

Lorsque Batiste répondit, Louison poussa un soupir exagéré. Et dire qu'un peu plus tôt dans la journée, son frère avait tenté de redorer l'image du jeune homme auprès de la dryade.

"Je n'en reviens pas que vous préfériez prendre le risque de vous casser le coccyx et la clavicule dans le seul but de m'humilier."

Par miracle, elle arrivait encore à tenir debout. Petit à petit, elle commençait à comprendre comment suivre la routine du pas de base. Elle restait cependant bien trop crispée contre le chasseur pour que celui-ci puisse tenter une simple figure comme une pirouette.

"Qu'est-ce que vous voulez vraiment ? Que je quitte le château et la ville ? Ce n'est pas comme ça que ça marchera. Je me moque de ce que pensent tous ces gens."

Elle ne tenta pas de les désigner, préférant garder sa stabilité comme elle le pouvait, sans relâcher la pression qu'elle maintenait sur l'épaule et la main de Batiste. Le jeune homme comprendrait. Elle s'en moquait d'autant plus qu'ils l'avaient vu dans une situation bien pire, même s'ils ne semblaient pas avoir fait le lien.

La seule personne qu'elle aurait pu froisser était Félixine. Mais au vu de la situation, il n'y avait pas de risque, tant que la dryade ne manquait pas haut et fort de respect au jeune homme, en arrêtant la danse, lui mettant une claque -qu'il aurait bien mérité selon elle- et quittant brusquement la salle par exemple. Mais ça, Louison ne le ferait pas. Elle allait tenir jusqu'au bout de la danse, de préférence sur ses deux pieds, et surtout la tête haute.

Batiste ne savait pas que son frère avait essayé de redorer son image auprès de Louison mais il s'en fichait de toute façon.

"Oh non, ne vous inquiétez pas. Je sais me réceptionner."

Il fut agacé un peu qu'elle ne tombe pas. Il la sentait raide et crispée. Elle faisait ce qu'elle pouvait pour le suivre et pour garder un équilibre stable. Elle était tellement accrochée que Batiste ne pouvait pas envisager des pas plus audacieux.

" Ce que je veux ? Vous faire payer pour l'affront que vous m'avez fait."

Encore une fois, Louison fronça les sourcils. Quelle arrogance. Après tout, elle avait juste tenté de le chasser de sa forêt et provoqué quelque peu le jeune homme à l'oral.

"Vous m'avez déjà arrêtée, faite battre, condamnée à mort. Et vous avez aussi blessé mon bosquet. Est-ce que ça ne serait déjà pas suffisant ?"

Louison marqua une pause, avant de reprendre.

"De ce que je sais, vous venez tout juste de revenir d'un kidnapping. Ne serait-ce pas plutôt eux à qui il faudrait faire payer ?"

Même si le nombre de faux-pas de Louison diminuait, il restait non négligeable. Ainsi, lorsque son pas en avant fut plus important que ce qu'il fallait, elle termina sur la chaussure de Batiste. Heureusement qu'elle ne portait pas de talons.

Un "Désolée" lui échappa par réflexe. Elle se mordit la lèvre. Elle aurait préféré se taire. Pour ne pas totalement perdre la face, la jeune femme ajouta tout de même quelques mots.

"Mais si vous m'aviez dit exactement en quoi consistaient les pas, ça ne serait pas arrivé."

Les jupons de sa robe cachèrent ce faux mouvement aux yeux du public. Tout ce qu'ils pouvaient voir, c'était une jeune fille aux cheveux verts bien trop rigide dans les bras de leur prince, sur une danse qui décidément, manquait de variations.

Batiste secoua la tête légèrement en signe de négation.

"Non, ce n'est pas suffisant. Cela ne l'est pas car vous n'avez finalement pas souffert ni payer assez pour l'affront que vous m'avez fait."

Batiste était violent. Il aimait la violence. Le prince ne parla pas de ses ravisseurs. Après tout, il avait été traité en invité par ceux-ci. Batiste avait même comploté avec eux contre son propre père. 

Il ne dit rien lorsque Louison lui écrasa le pied. Elle s'excusa même ce qui fit naître un sourire moqueur sur le visage du prince. 

Ensuite, pendant le reste de la danse, Batiste ne lui adressa aucune parole.